Voilà, c’est fait. Depuis le 22 décembre 2011, plus aucun doute ne planera lorsque vous téléchargerez en peer-to-peer le dernier album de Rihanna (personne n’est parfait). Non, vous ne pourrez plus essayer de vous cacher derrière le relatif flou de la définition légale de l’exception de copie privée. Vous appartiendrez au bien peu select club des (présumés) contrefacteurs…
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… ou l’art de faire une intro racoleuse.
Le législateur a enfin mis un terme à cette hypocrisie qui ne pouvait plus durer. Dorénavant, invoquer l’exception de copie privée sera subordonné à ce que votre copie soit réalisée « à partir d’une source licite ».
Avant de vous expliquer pourquoi nous vivions dans un monde hypocrite avant le 22 décembre 2011 (Partie II), mais que pour autant il n’en est pas plus beau depuis lors (Partie III), revenons quelques instants sur cette si célèbre exception (Partie I).
Partie I – Retour sur l’exception de copie privée
L’exception de copie privée est cette exception tant adulée mais parfois incomprise, qui soulève à sa simple évocation maintes polémiques et de très vifs débats le soir au coin du feu.
C’est une exception au droit patrimonial de reproduction.
Sa première version moderne en droit français remonte à la loi du 11 mars 1957 .
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Elle permet donc de copier/reproduire une œuvre à la triple condition que :
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- la source de la copie soit licite
LA grande nouveauté (toute relative) de cette réforme, que je vous détaillerai en partie II et partie III de cet article (suspens).
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- vous copiez vous-même cette œuvre et non par l’intermédiaire d’une autre personne ou des moyens techniques de celle-ci
Si un ami copie pour vous un album en sa possession, vous êtes dans l’illégalité.
Si vous photocopiez un livre dans une boutique de reprographie, vous êtes dans l’illégalité car le matériel permettant la copie ne vous appartient pas.
Donc c’est à vous de brancher votre clé usb à l’ordinateur et de faire le mouvement adéquat avec la souris pour copier le fichier mp3 (original et non protégé…)
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- cette copie demeure à usage privé et non à des fins collectives
Heureusement, pour nous le juge a été magnanime. Cela ne veut donc pas dire que vous serez le seul à pouvoir en profiter, mais votre cercle de famille / amis proches (même si sur ce dernier point plane un certain doute) pourra aussi en bénéficier. Mais pas les amis de vos amis. Encore moins votre entreprise. Non plus les lecteurs de votre blog, site, twitter ou même Facebook dès lors que vos « amis » ne sont pas vraiment tous vos amis…
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Cette exception représente d’une certaine manière le sifflet de la cocotte-minute sans lequel celle-ci exploserait. Elle fait entrer dans la légalité des comportements qui auraient été impossible de contrôler.
C’est aussi un indéniable vecteur de diffusion de la culture. Une recherche du juste équilibre entre le tout gratuit et accessible, et, le tout payant et fermé. Mais un équilibre souvent décrié, malmené, qui pour certains est trop favorable au « copiste » et, pour d’autres, trop protecteur des titulaires de droits d’auteur.
Lorsqu’un système est critiqué par ses deux camps antagonistes, ne le serait-il pas car il se situe au juste milieu ? Cette critique n’est-elle seulement pas là pour faire pencher plus la balance d’un côté que de l’autre, au détriment de toute justice ? Ou alors est-ce parce que ce système est si mauvais que personne ne l’accepte ? Quand je vous disais que les débats étaient vifs au coin du feu !
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Je vous parle d’exception depuis le début, et certains grincent peut-être des dents. Pourtant il s’agit bien d’une exception et non d’une limite, ou encore pire (désolé pour la provocation), d’un droit !
Déjà, c’est une exception car la loi elle-même emploi ce terme (Les exceptions énumérées par le présent article… article L122-5 in fine). Même la jurisprudence est venue le rappeler.
Ce n’est pas un droit car le législateur ne souhaitait pas mettre au même rang l’utilisateur de l’œuvre et l’auteur ou le titulaire de droits d’auteur. Une hiérarchie a donc été établie entre le jeu de l’exception de copie privée et le droit de l’auteur ou du titulaire.
Mais ce n’est pas non plus une « limite », car cela signifierait que le droit de reproduction naitrait par la création de l’œuvre et mourrait avec la copie privée (une sorte de « ] » pour les plus scientifiques d’entre vous). Non, sa seule limite c’est l’extinction des droits 70 ans après le décès de l’auteur (sans oublier les cas particuliers, mais ne nous égarons pas).
Le terme « exception » est fort de sens. Une exception est une dérogation à la règle de principe. Elle ne joue que dans de rare cas, dans une situation particulière et encadrée.
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Cette volonté de rendre les exceptions au droit d’auteur si strictes est poussée à son paroxysme avec le dénommé « test des trois étapes » ou encore « triple test »
Ce test prend ses origines dans la révision de Stockholm de 1967 de la Convention de Berne de 1886 ratifiée par 165 pays (sur 194 reconnus par l’ONU). Rendez-vous compte de sa dimension internationale !
Ainsi, pour que cette exception puisse jouer, encore faut-il qu’elle:
- soit limitée à des cas spéciaux,
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- ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, c’est-à-dire occasionner un manque à gagner certain,
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- ne cause pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur, donc tant les droits patrimoniaux de l’auteur mais aussi ses droits moraux.
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La volonté de protection est telle que seul le terme « exception » pouvait être choisi par le législateur.
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L’exception de copie privée a elle-même des exceptions… la simplicité, un mot que ne connait pas le juriste…
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Ces exceptions à l’exception de copie privé sont au nombre de trois :
- Il n’est pas possible de copier des œuvres d’art « destinées à être utilisées à des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée »
Une exception que certains pourraient penser facile à interpréter : les œuvres d’arts sont créées pour être admirées, contemplées, tout au moins créer un sentiment dans l’esprit de son public. Dans cette logique, la copie d’un Picasso n’est donc plus privée dès lors qu’elle est affichée dans votre salon ou encore pire, dans le cadre d’une exposition.
Mais si l’on se penche un peu plus sur les termes mêmes de cette phrase, ne devrait-on pas l’interpréter comme une recherche de la volonté de l’auteur de l’œuvre originale ? Je vous explique. Dans sa seconde partie, il est employé l’expression « œuvre originale » et non « œuvre d’art » de façon générale. Le point de référence est-il la volonté de l’auteur de l’œuvre copiée et non « l’objectif général » des œuvres d’art ? En suivant cette cette logique, si l’œuvre d’art que vous avez copiée a été créée dans le but de choquer, mais que vous utilisez sa copie seulement pour la contempler sans ressentir ce sentiment, êtes-vous couvert par l’exception de copie privée ? Une question intéressante qui pourrait à elle seule faire l’objet d’un article…
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- Il en est de même pour les logiciels, sauf s’il s’agit d’une copie de sauvegarde.
Ah, ils sont toujours à part ceux-là. On se demande bien souvent ce qu’ils font dans le droit d’auteur …
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- Enfin, les reproductions des bases de données électroniques ne sont pas non plus couvertes par cette exception.
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Au terme de cette première partie, vous voilà sûrement devenu un pro de l’exception de copie privée, pourtant vous ne savez toujours pas pourquoi nous vivions dans un monde hypocrite avant la réforme du 22 décembre 2011, ni ce que l’on doit comprendre par « source licite« .
Pour y remédiez, lisez la partie II: L’état du Monde avant la réforme !
Sans vouloir spoiler quiconque, effectivement je suis complètement d’accord avec le titre, puisqu’il ne s’agit finalement que d’une codification de la jurisprudence…
[…] Pour un retour sur les conditions de l’exception de copie privée, n’hésitez pas à consulter la première partie de cet article ! […]
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