Village People : Victor Willis can stop the music !

Membre des Village People de 1977 à 1980, Victor Willis n’est pas le policier gay et gentiment candide que l’on pourrait croire à première vue. Bien évidemment, il n’est pas vraiment policier, il est hétérosexuel (sa femme est avocate) et surtout – c’est ce qui nous intéresse ici – il est le coauteur de plus d’une trentaine des chansons du groupe parmi lesquelles les tubes YMCA, MACHO MAN, GO WEST ou encore IN THE NAVY.

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Cependant, notre faux policier avait dû céder ses droits d’auteur à sa maison de disques, la société Scorpio Music S.A., sans même lire le contrat de cession (comme il le dit lui même). Dés lors, les chansons qu’il a écrites avec les français Jacques Morali (auteur compositeur, mort en 1991) et le producteur Henri Belolo ne lui « appartiennent » plus … Mais le Copyright Act de 1976, sous la loi duquel la cession a eu lieu , comporte une petite bombe qui n’a pas échappé à Mme Willis (vous savez, l’avocate…): le « termination right » qu’on pourrait traduire par « droit de rétrocession ». Ce droit permet à un auteur ayant cédé ses droits sur le territoire américain de les recouvrir après une période de 35 ans s’il en fait la demande au plus tard 40 ans après que la cession ait eu lieu.

Si le titre MACHO MAN, écrit avant le 1er janvier 1978 (date d’entrée en vigueur du Copyright Act de 1976 ), échappe au « termination right », ce n’est pas le cas des autres tubes sur lesquels Victor Willis prétend à une rétrocession. Pour ce faire, il notifie dès 2011 un préavis de « termination right » à Scorpio Music S.A et Can’t Stop Productions Inc. (titulaire des droits aux Etats-Unis).

Ces derniers lui opposent une requête en irrecevabilité et saisissent le juge aux motifs que :

  1. Le « termination right » ne peut être mis en œuvre que si la majorité des coauteurs qui ont cédé leurs droits en font la demande. Or ni M. Belolo, ni les ayants droits de Jacques Morali n’ont manifesté cette volonté.
  2. Le Copyright Act de 1976 exclut le « termination right » pour des « work for hire » (qu’on peut traduire par création salariale). Scorpio Music SA affirme que M. Willis a été embauché essentiellement pour un travail d’adaptation/traduction et que la société lui a fourni les instructions et des moyens pour parvenir au résultat demandé.

Cependant, la société demanderesse retire cet argument qui n’est exposé qu’à l’oral.

Victor Willis rétorque qu’Henri Belolo, bien que crédité en tant que coauteur, n’a jamais contribué à la création des chansons litigieuses. Victor Willis affirme être le seul coauteur avec Jacques Morali.

Dans sa décision du 7 mai 2012[PDF], le tribunal rejette la demande des maisons de disques au motifs que les contrats de cession de M. Willis ne sont pas les mêmes que ceux contractés par les consorts Belolo/Morali. En tant que seule partie à ces contrats il peut exercer son « droit de rétrocession » unilatéralement sans remettre en question la cession des autres co-auteurs. Le juge mentionne également le fait que Victor Willis conteste la qualité d’auteur d’Henri Belolo. Toutefois, comme cet argument n’a pas été directement exposé dans la plainte initiale, les sociétés éditrices sont autorisées à modifier leur dossier afin d’inclure ce nouveau désaccord dans une nouvelle plainte (déposée le 5 juin 2012).

Le 4 mars dernier, le juge Barry Moskowitz statue à nouveau [PDF] sur le cas Scorpio Music S.A. v. Willis et confirme la première solution en rejetant la requête d’irrecevabilité des maisons de disques à l’encontre du préavis de « termination right » de l’ancien leader du célèbre « boys band » disco.

Même si finalement le juge n’apporte que très peu de réponses aux problèmes posés; cette décision constitue la promesse d’une jurisprudence abondante qui finira par y répondre.

Il est évident, s’il est confirmé, qu’un tel précédent va très rapidement donner des idées aux auteurs de titres écrits à partir  de 1978 … et des sueurs froides aux maisons de disques qui font encore leurs choux gras de certains classiques encore très rentables (jugez par vous même)

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Les projets du « Hot Cop » :

La loi américaine accorde 5 types de droits au titulaire du « copyright »:

  • Le droit de première vente (variante du droit de divulgation français). C’est le droit de faire de l’œuvre, un bien du commerce connu du public.
  • Le droit de reproduction, c’est à dire le droit de faire des copies de l’œuvre sur divers supports, qui constitue l’édition à proprement parler.
  • Le droit d’adaptation, comme les réorchestrations de l’œuvre originale par exemple.
  • Le droit de représentation qui permet d’utiliser l’œuvre originale lors de concerts ou spectacles.
  • le droit de diffusion, par exemple, la projection de captations de concerts au cinéma, bande originale de film etc.

A l’époque, Victor Willis avait cédé tous ses droits sur les chansons du groupe aux producteurs. La mise en œuvre de son « termination right » permettrait à Victor Willis de reprendre les droits qu’il a cédés aux États-Unis.

A l’étranger, les droits du bénéficiaire du transfert restent inchangés, tout comme les droits liés aux œuvres dérivées créées pendant la cession. En revanche, les auteurs qui exercent leur droit de « termination right »regagnent le droit d’autoriser la création de nouvelles œuvres dérivées.

L’intérêt de recouvrir ses droits pour le « policier »/auteur/interprète est double :

  • Reprendre une partie du contrôle de son œuvre : Les Village People existent encore, continuent de faire des tournées et il est notoire que M. Willis est en froid eux (son épouse a tenté d’annuler la marque « Village People » aux Etats-Unis, en vain [PDF] ). Récupérer ses droits de représentation sur l’essentiel du répertoire du groupe pourrait, s’il le souhaite, empêcher la nouvelle formation d’interpréter ses tubes aux États-Unis !
  • Le second intérêt pour le « Hot Cop » est naturellement de pouvoir prétendre à plus de royalties (30 ou 50% des droits sur le répertoire au lieux des 12 à 20% qu’il perçoit actuellement).

En effet si M. Willis semble sur le point de reprendre une part du gâteau, on ne sait toujours pas quelle en sera la taille !

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30 ou 50 % ? Le pourcentage du « policier » toujours en suspens.

Selon Victor Willis, M. Belolo n’aurait pris part qu’à la production, il n’aurait pas contribué  à la création des chansons et ne peut donc pas être considéré comme coauteur. Les droits du répertoire devraient alors être répartis à 50/50 avec les ayant droits de Jacques Morali, au lieu d’être distribués en trois parts égales avec le producteur (bien qu’il soit crédité en tant que coauteur).

Si la Cour n’a pas statué sur ce point, elle retient la jurisprudence ZUILL v. SHANAHAN HMS, citée par M. et Mme Willis, pour déterminer si Henri Belolo peut prétendre à un tiers des droits au titre de coauteur.

Dans cette affaire, John Shanahan, éditeur d’une méthode d’apprentissage de la lecture au moyen de cassettes avait fait appel aux musiciens Paul Zuill et Lou Rossi pour assurer des illustrations sonores pour la méthode en question.

Pendant 10 ans, M. Shanahan s’est considéré comme le seul titulaire des droits des musiques. Il l’a par ailleurs notifié aux consorts Zuill et Rossi à 2 reprises, sans que ces derniers ne manifestent un quelconque désaccord… avant d’apprendre que la méthode en question rapportait à l’entreprise 150 million de dollars !

Bien que la Cour a rejeté leur demande pour des raisons de prescriptions, elle était disposée à déposséder M. Shanahan de l’intégralité de ses droits sur les œuvres si une preuve suffisante était rapportée.

Le statut d’Henri Belolo n’est donc pas écrit dans le marbre quand bien même il le serait sur les pochettes des albums !

Peut être ce dernier aurait il dû recruter son « boys band » en France …

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Le « termination right » un rêve américain ?

La législation française est réputée plus favorable aux auteurs (droit d’auteur) que la législation américaine qui est censée être du côté des producteurs (copyright).

Pourtant le « termination right » – qui a pour but de permettre aux créateurs de renégocier les conditions de contrats de cession de droits conclus avant que la véritable valeur de leur œuvre ne soit connue – est une spécificité Américaine.

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Que peut espérer un jeune auteur qui souhaite céder ses droits à une maison de disque en France ?

De l’argent ? Pourquoi pas ?

Si la cession peut être opérée à titre gratuit,  la rémunération de l’auteur est en principe proportionnelle aux recettes de la vente ou de l’exploitation de son œuvre (pourcentage fixé librement sur la base du prix de vente hors taxe de l’œuvre par exemple).

Exceptionnellement, on peut recourir à une rémunération forfaitaire ouvrant droit à révision en cas de préjudice important (plus de 7/12e par rapport aux revenus auxquels l’auteur  aurait pu prétendre).

La possibilité de renégocier les conditions de la cession ? Sûrement pas !

Le contrat de cession doit comporter une clause quant à sa durée, sous peine de nullité. Cette durée peut être négociée mais la clause type en ce domaine est celle qui prévoit que la cession est accordée pour la durée du monopole, soit jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur …

On est donc bien loin ici du « termination right » visé par le Copyright Act de 1976, à savoir 35 ans à compter de la cession.

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Pour résumer :

Un auteur soumis au droit français qui voudrait reprendre le contrôle sur ses créations doit compter sur 3 choses toutes improbables :

  1. Ses qualités de négociateur (il parvient miraculeusement à céder ses droits pour une courte période, il obtient une rupture amiable de la cession …).
  2. Un contrat de cession mal rédigé (absence de terme ou de zone géographique dans le contrat, des droits cédés insuffisamment détaillés, usages ou destinations de l’œuvre pas précisées correctement …) qui ouvrirait droit à une action en nullité, si l’auteur connait suffisamment la législation…
  3. La faillite ou l’inaction (défaut d’exploitation) de sa maison de disque qui lui permettrait une résiliation de plein droit du contrat de cession.

Il n’existe donc pas en France de dispositif  efficace permettant aux auteurs de renégocier la cession de leurs droits… un seul conseil à ces derniers : GO WEST !

Le mot de la fin revient à M. Willis qui confie au New york Times:

«J’espère que d’autres artistes trouveront un bon avocat et pourront récupérer leurs œuvres que beaucoup d’entre nous ont cédées lorsque nous étions plus jeunes, avant que nous sachions ce qui se passait vraiment. Quand vous êtes jeune, vous voulez juste avoir du succès et vous ne faites pas vraiment attention à ce qui est écrit sur le papier que l’on vous tend et c’est une grosse erreur.»

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