A peine les épreuves du bac corrigées que fleurissent déjà, sur le net ou sur papier, des recueils et reproductions des traditionnellement dénommées « perles du bac ». Un concept au fort potentiel commercial qui trouve toujours son public. Il est vrai que ces chers bacheliers font souvent preuve d’une originalité déconcertante.
Un concept divertissant certes, mais que le juriste que je suis ne pouvait s’empêcher de passer par le prisme du droit d’auteur. Et le rendre soudainement bien moins sympathique…
En effet, ces « joailliers » assemblent les perles et récoltent rarement les autorisations nécessaires pour les publier. Ils avanceront sûrement que c’est impossible puisque les copies sont anonymes. Pourtant pour reproduire et communiquer une œuvre littéraire, car il s’agit bien ici d’œuvres, l’empreinte de la personnalité complexe de leur auteur ne faisant aucun doute, encore faut-il que celui-ci ait cédé ses droits correspondants, même si l’auteur est anonyme.
« Peu importe, puisque l’exception de courte citation couvre nos agissements » me répondront-ils !
Cette exception contraint l’auteur de ne pas interdire tant la reproduction que la communication de courtes citations de son œuvre à la triple condition :
- que l’œuvre ait été divulguée,
- qu’elles soient justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre qui les intègre,
- que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source..
Or, ça coince dès la première condition, la divulgation de l’œuvre
Le droit de divulgation est un droit moral de l’auteur. Comme tout droit moral, il est attaché à sa personne. Il est perpétuel (il dure au-delà de la vie de l’auteur, il devra toujours être respecté) et extrapatrimonial (il n’est pas dans le patrimoine personnel et n’a pas de valeur marchande) donc inaliénable (il ne peut pas être vendu ou donné) et imprescriptible (il ne se perd pas par son non-usage).
Le droit divulgation, c’est le droit pour l’auteur de déterminer quand et comment son œuvre sera portée à la connaissance du public. La notion de volonté à ici un rôle primordial.
Si le bachelier a fait le choix, certes contraint et forcé, de porter son œuvre à la connaissance de son correcteur, il y a de faibles probabilités qu’il ait eu la volonté de la dévoiler à un public. Encore moins pour que l’on rie à ses dépens…
Jusqu’à preuve du contraire, le public n’est pas une personne, ni même deux d’ailleurs, mais plutôt un groupe de personnes, voir même l’ensemble de la population considérée comme un tout.
A cette étape du raisonnement, déjà une condition de l’exception non remplie et un droit moral violé….
Passons à la seconde condition : l’intégration des courtes citations dans une autre œuvre doit être justifiée par un apport intellectuel
Tel est le cas, par exemple, lorsque la citation est critiquée, décortiquée, analysé par l’auteur du recueil. Mais s’il se contente de les mettre les unes après les autres, sans plus de détails, cela est bien insuffisant ! Or, rare sont les recueils ou les simples reproductions de perles du bac qui apportent une certaine plus-value intellectuelle. Bien souvent, hormis parfois une introduction divertissante sur la manière dont ces perles ont été récoltées, elles sont publiées les unes à la suite des autres sans plus de détails.
Deuxième condition non respectée !.
Poursuivons avec la dernière condition, la mention du nom de l’auteur et de sa source
Pour la source, généralement, pas de problèmes majeurs. Il est souvent indiqué le lieu et la matière de l’épreuve.
Quant au nom de l’auteur… Difficile de l’indiquer puisque les copies sont anonymes ! Oui, mais cet argument ne suffit pas. Car pour omettre le nom de l’auteur, encore faut-il que celui-ci ait décidé de conserver l’anonymat. Toutefois cet anonymat est contraint et non choisi.
Ici encore, un droit moral est enfreint, celui de paternité, connu aussi comme le droit au respect du nom de l’auteur ou encore le droit au nom, etc. C’est la faculté pour l’auteur de conserver l’anonymat ou de décider que son nom ou pseudonyme soit rattaché à son œuvre.
Ainsi la troisième condition n’est-elle pas satisfaite et de nouveau un droit moral est transgressé..
En définitive, pour chaque perle publiée sont enfreints :
- le droit patrimonial de reproduction,
- le droit patrimonial de représentation lorsqu’elles sont publiées sur internet,
- le droit moral de divulgation,
- le droit moral de paternité.
Sauf à ce que les bacheliers aient signé un contrat de cession de droit d’auteur sur leurs œuvres, mais resterait encore entier le problème des droits moraux de divulgation et de paternité.
Alors, voilà, ça c’était la belle théorie du droit d’auteur dans un monde parfait. Mais en pratique, combien d’élèves identifieront leurs perles ? Combien sauront prouver qu’ils en sont l’auteur ? Combien souhaiteront qu’elles soient retirées ou obtenir réparation pour leur exploitation ? Combien s’engageront dans une procédure, qu’elle soit amiable ou contentieuse ?
Alors à part pour ceux ignorant qu’ils pourraient être contrefacteurs, l’enjeu commercial vaut sûrement le risque pris, surtout lorsqu’il est si infime…
Merci à Marie-Pernelle pour m’avoir fait penser à ce si beau sujet.
On pourrait résoudre le problème, au moins d’un point de vue moral, en mettant sur les copies une case à cocher pour que les élèves donnent l’autorisation. Vous pensez qu’ils ne la cocheront pas ? Ben ça vous apprendra à violer les droits d’auteurs des gens DANS LE BUT DE SE FOUTRE DE LEUR GUEULE.
L’autre solution serait d’inventer les perles au lieu de diffuser d’authentiques extraits de copies du bac. C’est déjà ce que font de nombreux sites internet de « perles du bac » 😉
Cela pourrait aussi régler le problème juridique si la clause est bien rédigée. Bon ça prendrait une demi-page, personne ne la lirait et surement personne ne cocherait…
Et cela ne vaudrait que que les pour les élèves majeurs, car pour les autres il leur faudrait une autorisation parentale!
[…] Perles du bac, perles de contrefaçon? A peine les épreuves du bac corrigées que fleurissent déjà, sur le net ou sur papier, des recueils et reproductions des traditionnellemen… […]
Evidemment, vu le type de blog, vous parlez surtout de l’aspect légal. Mais en dehors de ça, je pense que moralement, ce n’est pas si gênant que ça de diffuser sans autorisation de l’auteur quand on n’a pas d’autre moyen de diffuser, et qu’on a de bonnes raisons de penser que cela ferait plaisir à l’auteur de toute manière. Comme j’étais plutôt bon élève, j’ai eu des dissertations lues devant la classe. Dont une devant UNE AUTRE CLASSE. Est-ce autorisé ? Aucune idée. Méchant pour moi ? Au contraire.
Ici, c’est une diffusion sans autorisation pour se moquer des auteurs. Juridiquement, ça ne change peut-être rien. Mais c’est plus choquant.
Il est vrai que c’est l’aspect légal qui est ici traité.
Pour autant, je comprends votre raisonnement, mais qui est mieux placé que l’auteur pour décider quand et comment son oeuvre sera divulguée?
Savoir où se trouve la limite entre ce qui est bien ou mal pour lui est une notion bien trop subjective. Ce qui peut sembler bien pour soit, peut ne pas être perçu comme tel par l’autre. Même si on peut tout de même dégager une certaine définition du « bien » en reprenant les valeurs partagées par le plus grand nombre.
Mais c’est justement pour éviter de rentrer dans des considérations philosophiques et morales et de se substituer à la volonté de l’auteur que le droit d’auteur ne laisse que ce dernier choisir de divulguer ou non son oeuvre (hormis le cas des oeuvres posthumes)
Quant à la lecture d’une épreuve devant une classe, il y a vraisemblablement communication de l’oeuvre à un public (même si l’ont peut se demander si une classe = 1 public).Alors que pourtant son auteur n’avait pas exprimé sa volonté de le faire. On ne peut donc pas non plus rentrer dans le cadre de l’exception pédagogique (L122-5 3° e) http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=CEC4C6C2F8B864C0321269ADFF1A06D0.tpdjo12v_1?idArticle=LEGIARTI000025003518&cidTexte=LEGITEXT000006069414&dateTexte=20120707) . Et puis il faudrait qu’il puisse percevoir la rémunération pour compensation de cette exception (prévue par le texte).
Donc juridiquement, stricto sensu, cela me semble bien compromis.
Mais moralement, je ne vois pas d’objection et je trouve ça normal. A la condition que l’élève ait donné son accord pour que sa copie soit lue en public.