Les Clodettes contre la SPEDIDAM: lumière sur les problèmes structurels du droit à rémunération des interprètes

Aussi curieux que cela puisse paraitre, les chanteurs morts perçoivent souvent plus que les danseuses vivantes … C’est pourquoi une vingtaine de « Clodettes » s’est regroupée pour faire valoir leur droit à percevoir des revenus au titre de leur apparition dans des clips et autres diffusions des spectacles de Claude François.

Caro Scuro – CC BY-NC-ND

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Le fondement de ce recours réside dans les droits de l’interprète -notamment le droit de représentation (visé à l’article L 212-3 du code de propriété intellectuelle pour les interprètes et défini à l’article L122-2 du même code pour les auteurs) et la rémunération équitable (article L214-1 du même code)- car on l’oublie souvent mais si elles n’ont pas le statut de chorégraphe (et donc d’auteur juridiquement parlant), les « Clodettes » sont néanmoins les interprètes des chorégraphies et accompagnent ainsi le chanteur dans sa performance. Chaque diffusion constitue alors une « représentation ».

La SPEDIDAM (Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes-interprètes de la Musique et de la Danse) est chargée de calculer le montant de la rémunération de chacun de ses membres en fonction du nombre de diffusions en vertu du droit de représentation. Cependant certaines danseuses n’auraient simplement rien perçu depuis le décès de Claude François.

Dés lors, faut-il blâmer la SPEDIDAM pour une perception inexacte, voire hasardeuse, des droits de représentation ? Comment sont comptabilisées les diffusions ? Quelles sont les obligations de cet organisme ?

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Une colère légitime pour les interprètes

Là où le bât blesse, c’est que, en dépit de nombreuses années de diffusions,rediffusions, émissions commémorative, biopics et autre productions cinématographiques qui contribuent à maintenir un engouement pour « Cloclo » , certaines n’ont absolument rien perçu … alors que d’autres comme Lydia Naval qui a officié pendant 6 ans en tant que « Clodette » aurait perçu environ 150€, preuve que son statut est bien reconnu… Dès lors, on peu douter de la pertinence du mode de calcul de la SPEDIDAM.
Maître Richard, avocat des « Clodettes », évaluerait le montant des droits à 1000€ par an et par personne depuis 16 ans.

Comme toute Société de Recouvrement et de Perception des Droits (SRPD), la SPEDIDAM est une société privée reconnue d’utilité publique, elle n’a donc pas toute la force coercitive d’un organisme de droit public.
Elle distribue les fonds perçus à partir de déclarations des organismes de diffusion (chaîne de radio ou de TV, discothèque), de « feuilles de présence » pour les spectacles vivants ainsi que de sondages. La base de calcul n’est ni claire ni exacte, loin s’en faut. Ensuite, force est de constater que la danse est le parent pauvre des artistes interprètes. S’il est logique que les « Clodettes » ne touchent rien sur les diffusions radio d' »Alexandrie Alexandra », il est anormal que la diffusion TV du même morceau soit assimilée exclusivement aux mêmes ayants droits.

Si le titre et le chanteur sont systématiquement déclarés, ce n’est pas toujours le cas du reste de l’équipe et donc des autres interprètes. Dès lors le mode de calcul devient extrêmement lésionnaire pour les « seconds rôles » trop souvent oubliés.

Enfin, le statut de « Clodettes » de certaines semble être l’objet de discussions avec la SPEDIDAM. Certaines, recrutées au pied levé et sans grande considération, peinent parfois à faire admettre leur participation. La société de recouvrement n’est pas ici à blâmer car la faute incombe plus à Claude François et son entourage (notamment son producteur) qui n’a pas jugé bon de légitimer le statut des danseuses par un contrat en bon et du forme …

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Des difficultés sérieuses pour la SPEDIDAM

La SRPD n’est donc pas à mettre au pilori.

Toutes les « Clodettes » ne sont pas recensées, ni a fortiori inscrites à la SPEDIDAM (elles devraient alors agir elles même pour percevoir leurs dus, ce qui est une sinécure …) et enfin toutes ne sont pas mentionnées dans les déclarations de télédiffusion en dépit des obligations signées par les chaînes. De plus, la SPEDIDAM ne dispose pas de moyens suffisants pour faire un travail plus prospectif (20% des droits collectés sont déjà alloués au fonctionnement de l’organisme).

Enfin, la SPEDIDAM ne traite que des diffusions publiques radio et TV des œuvres, perdant ainsi la manne que pourrait représenter la diffusion sur le web « nouveau » média ignoré par le droit positif. Consciente de cela, la SPEDIDAM, contrairement à d’autres SRPD dont la politique est plus répressive, cherche à assimiler les plateformes de diffusion au distributeurs « traditionnels » que la TV et la radio, ce qui est souhaitable.Une telle démarche constituerait une grande avancée pour les artistes dont le droit à rémunération équitable n’a jamais aussi mal porté son nom en dépit du travail réalisé par les SRPD pour percevoir une fraction des droits qu’elle est bien incapable de distribuer équitablement.

Pour paraphraser Wiston Churchill qui parlait de la démocratie, ce système de calcul semble être le pire qui soit … à l’exception des tous les autres car il a le mérite d’exister.

Une fois de plus, la morale de cette histoire est que le système -louable à l’origine- visant à rémunérer équitablement les interprètes pour leur travail à chaque rediffusion au nom du droit de représentation; est vieillissant (la SPEDIDAM existe depuis 1956), opaque, inapplicable et surtout inadapté à la société de l’information.
Pour cela il serait souhaitable de le repenser entièrement en faisant peser des obligations de déclaration plus strictes sur les diffuseurs, des inscriptions systématiques mais à des conditions  moins restrictives pour les droits moraux des interprètes , et enfin un mode de perception tenant compte d’internet en tant que diffuseur à part entière.

Ah si j’avais un marteau …

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2 réflexions sur “Les Clodettes contre la SPEDIDAM: lumière sur les problèmes structurels du droit à rémunération des interprètes

  1. Bonjour et bienvenue à votre site, auquel je souhaite évidemment longue vie.

    Si je puis me permettre toutefois un léger complément d’information sur votre billet…

    D’abord, selon toute vraisemblance, le fondement de l’action des Clodettes n’est pas l’article L122-2 du CPI, qui ne traite que droit de représentation des auteurs, et non des artistes-interprètes.

    Autrement dit, si c’est ce fondement qui a été choisi, leur demande sera irrecevable, pour défaut de qualité. Le fondement exact est à rechercher vers les articles L212-3, voire L212-4.

    Ensuite, je ne comprends pas bien ce que vient faire la rémunération équitable dans cette histoire, dans la mesure où elle ne s’applique qu’aux prestations fixées sur un phonogramme du commerce, éventuellement incorporé à un contenu audiovisuel (L214-1). Or, puisque c’est de danseuses qu’il s’agit, il n’y a aucune chance que leurs prestations, par nature visuelle, soient couvertes par la rémunération équitable.

    Reste donc à savoir si la diffusion de leurs prestations donne lieu à un paiement complémentaire du cachet qu’elles ont perçu, et qui en est le primo débiteur, entre le producteur audiovisuel et le diffuseur. La logique voudrait que ce soit le premier cité, la créance dépendant alors des termes du contrat le liant à chaque danseuse.

    Ce n’est que subsidiairement, pour autant que les Clodettes aient fait apport des exploitations secondaires de leurs droits voisins à la SPEDIDAM et que les rediffusions soient considérées comme telles, que se posera la question de savoir si la SPEDIDAM a failli dans le recouvrement des sommes dues aux interprètes (auprès du producteur, ou éventuellement du diffuseur, donc).

    • Tout d’abord merci pour vos encouragements et l’intérêt que vous nous portez.
      Le fondement que vous mentionnez est effectivement le bon (correction apportée) et l’article que je cite sert ici plus à définir le droit de représentation de façon générale, voilà pourquoi je citais la section du code relative aux auteurs. En effet il ne semble pas que les « Clodettes » possèdent le statut d’auteur; elles sont donc uniquement interprètes.
      Bien que depuis la convention de Rome, la définition du phonogramme soit plutôt claire (son exclusivement) une partie de la doctrine (notamment Michel vivant et Dominique Velardoccio) manifeste une volonté d’y englober certaines œuvres audiovisuelles (captation de concerts ou de pièces notamment) relatives au spectacle vivant. Vu l’évolution des modes de diffusion, cela me semble être légitime.
      J’aurais l’occasion de parler de la SPEDIDAM dans de prochaines publications.

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