Commentaire d’arrêt Google contre SNEP : Google condamnée pour pertinence !

Cette semaine, j’ai souhaité faire le commentaire d’une décision SNEP contre Google de la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation du 12 juillet dernier dans laquelle les moteurs de recherches sont amenés à soigner leur vocabulaire … en l’appauvrissant !

Illustration du fonctionnement de l’outil suggestion: En haut, la requête de l’internaute; en bas, la liste des suggestions …

Rappel des faits :

Texte de la décision de la Cour d’appel (Paris, chambre 3 du 03 mai 2011)

Texte de la décision de la Cour de Cassation (Civ1. 12 juillet 2012)

Le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), qui représente les artistes interprètes, a fait constater par huissier de justice, que la fonctionnalité Google Suggestions du moteur de recherche  Google suggérait systématiquement d’associer à la saisie de requêtes portant sur des noms d’artistes ou sur des titres de chansons ou d’albums les mots clés “Torrent”, “Megaupload” ou “Rapidshare”. Le SNEP assigne en référé la société Google en retrait des termes litigieux sur le fondement de l’article L. 336 2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Le SNEP -débouté en première instance en septembre 2010- interjette appel devant la Cour d’appel de Paris. Là encore, le SNEP est débouté de ses demandes aux motifs que la mesure n’est pas efficace et que l’atteinte n’est pas caractérisée. Le SNEP ne désespère pas, bien lui en a pris car pour la première fois en 2 ans, une juridiction lui donne raison dans cette affaire.

« Attendu qu’en se déterminant ainsi quand, d’une part, le service de communication au public en ligne des sociétés Google orientait systématiquement les internautes vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans autorisation, de sorte que ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins, et quand, d’autre part, les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale, la cour d’appel a violé les textes susvisés « 

Cette solution, qui poursuit un objectif louable -mettre tout en œuvre pour limiter les atteintes au droit d’auteur sur Internet- se caractérise par un manque de pertinence ainsi qu’une vision vieillissante de la place des technologies de la communication dans notre système normatif.

I. La France toujours hostile à la notion de neutralité technologique.

Les américains, qu’on ne peut pas taxer de vouloir prôner la « culture de la gratuité », avaient mis au point la notion de neutralité technologique lors de l’arrêt Betamax du 17 janvier 1984 (On ne peut pas blâmer une technologie mais un mode d’utilisation, donc un comportement). Cette notion a été partiellement complétée 20 ans plus tard par l’arrêt Grokster (Celui qui distribue un dispositif avec comme objet de promouvoir son utilisation pour violer le droit d’auteur est responsable des actes de violation qui en résultent).

En l’espèce, Google met à disposition un moteur de recherches avec un algorithme qui permet de les rendre plus rapides EN UTILISANT LES REQUÊTES DES INTERNAUTES PRECEDENTS. On est en pleine neutralité technologique et la société Google ne devrait pas être tenue pour responsable des recherches de ses utilisateurs (Seule une utilisation frauduleuse massive fait de Google suggestions un outil portant atteinte au droit d’auteur ). Ainsi, par analogie, si un constructeur automobile permet aux voitures qu’il construit et commercialise en France de dépasser les 130 Km/h il devrait être condamné car il met à disposition un outil qui facilite les excès de vitesse et la mise en danger d’autrui !

A fortiori pourquoi limiter la responsabilité de Google à la contrefaçon ? L’image illustrant ce texte est un bon exemple, d’atteinte à la vie privée (article 222-6 du code pénal), d’infraction à la loi du 6 janvier 1978 dite loi informatique et libertés (même si le sujet donne son consentement pour être photographié, la diffusion des clichés n’est pas présumée, encore moins dans le cas d’une diffusion sur internet) voire de violation du secret des correspondances.

Toujours, pas convaincu ? Essayez de taper « comment se do ter d’un antivirus » … en vous arrêtant au beau milieu de « doter » on vous proposera notamment de vous doper ou de mourir (plusieurs fois !)

Faut-il condamner Google pour incitation au suicide (article 222-13 et suivants du code pénal) ? Malheureusement un grand nombre de gens tapent « comment se donner la mort » et la suggestion apparait 10 lettres avant la fin … dois-je vous rappeler qu’on reproche à un moteur de recherche de permettre à ses usagers de trouver ce qu’ils cherchent ? C’est justement ce qui fait sa valeur ajoutée !

II. Une vision élargie de la notion de fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation.

La solution de la Cour de Cassation se fonde sur le double visa des articles L335-4 et L336-2 du CPI.

Le premier article est une disposition pénale punissant de 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l’entreprise de communication audiovisuelle. La loi pénale est d’interprétation stricte (plus précisément, on ne peut pas raisonner par analogie); il faut donc qualifier pénalement une de ces notions pour incriminer Google.

Plutôt que de faire une description fastidieuse de toutes les notions, on conviendra que Google ne fixe ni ne reproduit les fichiers des sites vers lesquels il oriente les internautes pour se concentrer sur les notions de communication et de mise à disposition du public. Ces deux notions n’en font plus qu’une, depuis que la loi pour la confiance en l’économie numérique est venue les définir.

Je vous renvoie pour plus de clarté à l’excellent article d’Ilana Soskin qui explique très bien à quel point ces deux notions sont synonymes dans les textes au travers d’une  jurisprudence ahurissante où la mise à disposition d’un lien hypertexte n’est pas une communication mais tout juste une mise à disposition  du public !

Le second article visé explique sans doute la raison de tant de maladresse …

Dès lors, il est logique que Google soit condamné pour avoir fourni un service qui « offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs » quand bien même les mesures sollicitées « sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale » ne préviendront ni n’empêcheront l’atteinte -on parle dans la décision d’une potentielle « contribution à y remédier« – … Ce sont donc de lourdes charges hypothétiques qui pèsent sur Google !

Reste à voir si la Cour d’appel de renvoi ne pourrait pas peut être (sur des arguments spécieux, sans doute …) se demander si tout cela in fine ne reviendrait pas à priver une société de son objet social au travers d’une (minuscule) atteinte à la liberté d’expression via une (légère) forme de censure (sous couvert d’un texte de prévention)

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3 réflexions sur “Commentaire d’arrêt Google contre SNEP : Google condamnée pour pertinence !

  1. N’allez-vous pas un peu trop loin dans la critique ? La décision ne remet pas en cause, à mon avis, la notion de neutralité technologique. En gros les juges ne condamnent pas l’activité de moteur de recherche (ce qui est un bonne chose nous sommes bien d’accord), mais appliquent simplement un texte dédié à la cessation de l’illicite (le L.336-2 du CPI). En d’autres termes, dans la mesure où Google n’est pas responsable des contenus transmis par l’intermédiaire de son service, vous paraît-il incongru qu’en compensation d’un régime favorable (par exemple pour un service comme Google Images, l’acte de communication au public fait peu de doute), les intermédiaires techniques doivent participer à la cessation de l’illicite ? Ce n’est que s’ils dérogent à cette dernière obligation qu’ils seront condamnés pour la communication au public non autorisée. Le mécanisme ne me paraît pas contrevenir au principe de neutralité technologique d’autant plus que dans aucune des trois décisions du 12 juillet, les juges n’imposent un stay down ou alors à des conditions (implicites) renvoyant aux décisions de la CJUE en la matière (cf. aff. SABAM) et qui respectent les libertés publiques…
    Bref si responsabiliser les intermédiaires techniques sur le fondement du droit commun reviendrait certainement à annihiler nombre de libertés sur Internet, il n’y a pas non plus de raison de laisser en ligne des contenus illégaux.

    • Tout d’abord,bonsoir et merci pour cette critique constructive.

      Pour ce qui est de la neutralité technologique, la décision sans remettre totalement cette notion en cause ne lui est -selon moi- vraiment pas favorable. Je ne condamne pas le but poursuivi mais la manière d’y parvenir. Si je suis plutôt d’accord avec vous pour l’application de l 336-2 (comme je l’ai exposé dans l’article), je ne vois pas trop la raison d’être de la première partie du visa si ce n’est pour légitimer ce recul en faisant référence à des dispositions pénales qui -toujours selon moi- ne collent pas vraiment à l’espèce. Mon avis rejoindrait le votre si on parlait de Google image (où la communication ne fait aucun doute j’en conviens).
      Ce qui me parait incongru c’est que justement, pour une action concernant in fine des contenus illégaux, il faille se rabattre sur des intermédiaires tout en n’arrivant pas (de l’aveu même des juges) à faire cesser véritablement l’atteinte aux droits des auteurs… ce qui ressemble (mais là encore, ça n’engage que moi) à une condamnation « par dépit » qui ne fait que souligner les paradoxes entre le droit de la propriété intellectuelle et sa mise en œuvre pour le moins délicate.
      Vous voyez peut être de la sensibilisation ou une participation forcée à un effort collectif là dedans, mais lorsque je vois que l’algorithme de Google a été ,entres autres taxé, d’antisémitisme car le mot « juif » arrivait assez vite après certains nom propres, je me demande si ce n’est pas la boite de pandore qu’on serait en train d’entrouvrir … même si j’en conviens on déborde du simple cadre juridique.

  2. Merci pour la réactivité de votre réponse. La présentation du blog n’est pas mensongère: vous êtes bien deux passionnés:). Toutefois, je ne suis vraiment pas certain que l’on puisse considérer que cette décision soit défavorable à Google. D’une part, c’est un fait, Google met en place un politique de co/autorégulation visant à demander aux personnes s’estimant bafouées dans leurs droits de saisir Google pour qu’il procède au retrait rapidement (oserai-je dire promptement?:)). Je doute que Google ne se réjouisse pas d’une décision qui in fine va dans le sens de ce que la société met en place sans l’intervention du juge.EN d’autres termes, je pense que la victoire du SNEP n’est qu’une façade. Le SNEP a finalement seulement obtenu que Google retire un contenu jugé illicite.

    D’autre part, je pense que les trois décisions doivent être analysées dans leur ensemble. Or, dans l’une d’elle, de mémoire, le service de référencement est assimilé – au moins implicitement – à un service d’hébergement, ce qui était loin d’être gagné et qui n’est pas nécessairement une réponse juridique exacte…

    Je suis assez d’accord sur le fait que le vrai responsable devrait être le fournisseur de contenu mais pour un service tel que Google Suggest, qui agrège finalement les requêtes entrées par les utilisateurs, l’identification risque d’être compliquée. Je ne parle même pas des difficultés liées à l’universalité d’Internet. En tout état de cause, le contenu une fois posté, le fournisseur de contenu n’a pas / plus les moyens de mettre un terme à la violation d’un droit subjectif sur Internet. Seul l’intermédiaire technique en a les moyens.

    En outre, les intermédiaires techniques n’ont pas pour seuls missions de faire cesser les contenus violant la propriété intellectuelle (ils ont pour mission de faire cesser l’ensemble des contenus illicites, ce qui soulève la question de la prise de connaissance de l’illicite par l’intermédiaire, bien trop longue à exposer dans un commentaires de blog) mais en l’espèce le demandeur était le SNEP… Je doute que ce syndicat ait la qualité pour agir en défense des droits subjectifs de Laure Manaudou.

    Concernant votre dernière remarque, il appartient aux juges de décider si l’apposition de certains mots est illégal et si oui, sans responsabiliser Google (j’entends ici sans lui demander de réparer le préjudice subi), lui demander de faire cesser l’atteinte.

    Peut être que le rapport de la commission référencement du CSPLA apportera quelques pistes de réflexions au débat.

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